Qualité ou représentation : sortir des pièges de l’alternative

Sandrine Barrey (1) , Geneviève Teil (2, 3)

1 CERTOP - Centre d'Etude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir
2 SADAPT - Sciences pour l'Action et le Développement : Activités, Produits, Territoires
3 INRA Maroc - Institut national de la recherche agronomique [Maroc]

Une nouvelle crise agite les AOC depuis le début des années 2000, appelons-la « la crise des refusés ». Les jurys d’agrément des AOC que l’on tenait unanimement pour « laxistes » ont commencé de rejeter des vins pour « défaut de typicité », alors même que les vignerons qui présentent ces vins prétendent et sont très souvent reconnus être de grands défenseurs de la qualité de terroir. Ces derniers contestent vivement ces décisions et mettent en cause la compétence des jurés à évaluer la typicité de terroir des vins. Que se passe-t-il ? Comment interpréter cette controverse ? Pourquoi les arguments des uns sont-ils irrecevables pour les autres ? Cette communication cherche en premier lieu à apporter une réponse à cette question en sortant de l’alternative sans solution qui oppose l’idée de qualité vue comme un fait objectif à celle qui en fait une « pure » construction sociale. Ensuite elle tente d’en tirer les conséquences du point de vue de la législation qui encadre la qualité des AOC devenues AOP, et plus généralement des certifications marchandes et de la façon dont elles orientent les organisations marchandes.La controverse oppose deux conceptions différentes de la qualité de terroir que garantissent les AOC. Pour les uns, la qualité de terroir peut-être décrite par la typicité, c'est-à-dire une liste de critères qui la définissent a priori. La preuve de la typicité peut alors être conduite en soumettant les vins prétendument de terroir à un test, celui de la conformité aux critères prédéfinis. Pour les autres, cette prédéfinition est impossible. Le terroir, cet ensemble « nature-humain » n’est plus considéré comme un ensemble de facteurs prédéterminés causes de la qualité typique des vins, mais comme un couple d’auteurs qui interprètent le terroir à chaque nouveau millésime. La qualité devient ainsi une création impossible à prédéterminer que l’on ne peut donc évaluer à l’aide d’un test de conformité et qui requiert d’autres épreuves. Le point d’achoppement entre les deux partis est donc lié à l’ontologie que les acteurs veulent donner au terroir, une chose prédéterminée d’un côté, conforme aux canons de la théorie positiviste poppérienne d’un côté, un objet en constante production de lui-même de l’autre, plus proche de la théorie pragmatique jamesienne. Cette opposition remet aussi sur le devant de la scène un vieux débat dans les AOC qui vaut à cette réglementation d’être codifiée à la fois dans le code de la consommation, à la façon d’une norme, et celui de la propriété intellectuelle, comme création. L’histoire des AOC montre que la réglementation a tantôt épousé l’une ou l’autre conception. Nous suggérons que l’enjeu aujourd’hui est sans doute de dépasser cette alternance et les conflits qu’elle génère pour aménager la coexistence de ces deux formes ontologiques dont les modalités de preuve sont formellement mais non pragmatiquement incompatibles.

Mots clés: appellation d'origine contrôlée; vin; qualité; aoc

Domaines: Sociologie

Sandrine Barrey, Geneviève Teil. Qualité ou représentation : sortir des pièges de l’alternative. Colloque. Vins et vignobles: les itinéraires de la qualité (Antiquité-XXIème siècle), Université de Bordeaux (UB). FRA., Jun 2013, Bordeaux, France. 9 p. ⟨hal-01198309⟩